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Revoir ses priorités

Je ne suis pas quelqu'un de foncièrement ambitieux. Je me suis toujours dit qu'un job idéal serait celui qui m'assurerait un train de vie confortable, où je n'irais pas la boule au ventre tous les matins et dans lequel je n'aurais pas l'impression de végéter. Ça me semble être un compromis d'une exigence relative.

En arrivant dans ma nouvelle région d'adoption, j'ai dû faire le choix de quitter l'emploi que j'occupais à Paris. Ce boulot, j'y étais habituée, je l'aimais bien, je le faisais plutôt bien et j'y avais construit de jolies histoires qui avaient dépassé la sphère professionnelle. Là où ici, il n'y avait que doutes et incertitudes quant à la suite de ma "carrière". Ça n'a donc pas été un choix facile ("tu sais ce que tu quittes, tu ne sais pas ce que tu vas trouver") mais c'était tout de même un choix évident. Il était devenu désormais impensable de vivre loin de Pierrick — n'est-il pas fou ce lien d'une puissance inégalable créé avec quelqu'un que tu ne connaissais pas quelques semaines auparavant ? ah, la magie de l'amour ! — alors la décision que j'ai prise n'en était pas vraiment une. Il me fallait le rejoindre, je l'ai rejoint.

A mon arrivée, le travail n'était pas au cœur de mes préoccupations. J'étais enceinte de presque 7 mois, je devenais soudainement la belle-mère de deux enfants, je découvrais un nouveau quotidien, de nouveaux paysages, une nouvelle façon de me déplacer, j'étais loin de mes proches. Il y avait d'autres priorités. Réussir cette transition, que dis-je, ce bouleversement. Trouver un nid douillet pour nous 4 et l'enfant qui allait arriver. Devenir une maman.

Puis Eilie est née, me propulsant dans un rôle dont je ne connaissais pas grand-chose. J'ai pris le temps de le découvrir, de l'apprendre un peu — sait-on jamais complètement ? — et de m'adapter à tous ces gigantesques changements.

Il a fallu ensuite penser à cette vie professionnelle que j'avais mise de côté pendant de longs mois. Que faire de ma vie ? Que faire ici ? Comment valoriser toutes les compétences que j'avais cumulées jusqu'à maintenant alors même qu'elles étaient très spécifiques à l'entreprise dans laquelle je venais de passer 15 ans ?

J'ai envoyé des candidatures, passé des entretiens. J'ai refusé un poste, même. Parce que j'ai eu quelques semaines la naïveté de penser que tous les fantasmes devaient être réalisés et que je me suis lancée sur la voie de la création d'entreprise, voie finalement abandonnée quelques mois après.

Aujourd'hui, cela fait un peu moins de deux ans que je n'ai pas travaillé. Et je me sens fébrile par rapport à ça. Il est si facile de s'encroûter, d'apprécier le confort de son canapé et la sieste qu'on y fait après chaque déjeuner, si facile de ne plus avoir de rythme, d'horaire, de patron, de contrainte, de collègue. Si facile de se laisser vivre.

C'est une situation que j'ai laissé quelque peu perdurer parce que toutes les offres d'emploi qui me sont accessibles ici proposent une rémunération bien moins élevée que celle que j'avais avant et, et c'est là que le bât blesse, bien moins élevée que mon allocation chômage. Jusqu'à il y a peu, j'avais estimé à environ 700 euros la perte mensuelle que m'imposerait une reprise de travail : un salaire inférieur de 300 euros à mon allocation, une augmentation des heures de mon assistante maternelle qui représente également 300 euros environ, une centaine d'euros de plus de carburant liée à mes déplacements. Comment peut-on décider en conscience de retourner travailler dans une telle configuration ? Je ne comprenais pas la logique de la chose, j'avais l'impression que le système était extrêmement mal fait,  ridicule même. 

C'est en fait que je n'avais pas tout compris ! J'ai découvert depuis qu'en cas de reprise d'activité, on peut continuer à percevoir une allocation de Pôle Emploi et donc ne rien perdre en termes de rémunération. Quand on a appris cette information, on a sauté au plafond : non, le système n'est pas aussi mal foutu et con qu'on se l'était figuré !

Depuis, je postule donc. Je suis à l'heure où je te parle en lice pour un poste de téléconseiller, je devrais être fixée sous peu. Ce poste, il est rémunéré environ 1000 euros de moins que ce que je touchais à Paris. Un SMIC+, à peu près. Il présente malgré cela quelques avantages dont je te parlerai si je suis retenue.

Je n'ai jamais été ambitieuse, je n'ai jamais couru après l'argent. Mais je ne peux pas m'empêcher de vivre cette énorme diminution de salaire comme une attaque envers mon ego. J'ai l'impression que mon diplôme et mes 15 années de travail précédentes n'ont servi à rien. Voilà ce que je vaux aujourd'hui sur le marché de l'emploi. Voilà ce à quoi je peux prétendre. Et cela donne aussi une idée de la valeur du poste en lui-même : s'il n'est payé que le SMIC, cela veut-il dire qu'il est classé au plus bas de l'échelle de l'emploi, que "tout le monde peut le faire", qu'il n'y a pas vraiment d'enjeu, pas vraiment de compétence requise ?

L'autre soir, j'évoquais tous ces points à Pierrick et, au cours de cet échange, il a posé la question suivante : "pourquoi veux-tu retourner travailler ? quel est l'objectif, qu'est-ce qui t'anime ?". Et la lumière fut. 

Ce n'est pas l'épanouissement que je recherche. Je le trouve dans mes activités créatives.

Ce n'est pas un énorme salaire que je recherche. Je ne voulais juste pas que ma reprise d'emploi nous fasse perdre trop d'argent et le maintien partiel de mon allocation chômage répond à cette exigence.

Ce n'est pas la flatterie de mon ego que je recherche. Le regard de Pierrick, ses mots et ceux de mes proches en général suffisent à me faire savoir ce que je vaux, à me rassurer.

Ce qui m'anime, ce que je veux, ce que je recherche, c'est uniquement la stabilité offerte par un poste en CDI. Parce qu'être stable c'est être en mesure de prendre soin de sa famille. C'est aussi la patte blanche que je vais pouvoir montrer au banquier quand on se lancera dans l'achat de notre maison. Achat primordial pour nous. C'est aussi de pouvoir répondre sans rougir lorsque Belette me questionne sur mon avenir professionnel. Elle semble inquiète, ou du moins intriguée, par le fait que je ne travaille pas, et j'ai besoin de voir quelque chose d'apaisé, de rassuré, dans son regard. 

J'ai besoin d'un statut social, de choses à raconter le soir, de personnes à qui parler en journée. J'ai besoin, et j'ai hâte, de travailler. N'importe quel boulot qui me permettra d'être là pour mes enfants le soir me conviendra, en fait. Le reste, les détails, ne sont que futilités.

Isa

Billet écrit le 14/09/2022

Etat d'esprit : j'aime bien ce billet, ça m'a fait du bien de sortir tout ça, mais maintenant que j'en ai fini la rédaction je m'aperçois qu'il ne fonctionne pas dans la catégorie #MercrediFamille que je suis censée alimenter aujourd'hui. Je pensais que si, et cela m'arrangeait bien car je n'ai pas de billet prêt à sortir, au secours il va falloir que j'écrive encore !

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